Henbels, kilims et tapis berbères
Les tapis (dits kilims) sont au coeur de la vie berbère.
Le terme "kilim" est impropre.
Au Maroc, on parlera de Hembel ou de hamdira pour désigner ces tapis de laine tissée, qui servent à la fois de manteaux, de couverture et de tapis de sol. Mais le mot de kilim est universellement connu, et plus facile à mémoriser.
Pour un nomade, les tapis sont, après la toile de tente tissée en laine de dromadaire, la première, voir la seule pièce d’ameublement. Des khaïmas (tentes berbères) de l’Atlas aux riches palais Glaouis ou Fassis, les tapis sont nombreux, moelleux, colorés, richement décorés. Ils recouvrent le sol, où ils peuvent être empilés en plusieurs couches, l’hiver ils sont accrochés aux murs pour protéger du froid des carrelages, ils recouvrent les divans, les lits, les plus petits peuvent aussi servir de vêtements comme les Hamdira des Aït Hadiddou. Autrefois, on trouvait dans chaque famille un métier à tisser, où les jeunes filles préparaient leur trousseau de mariage. Aujourd’hui la fabrication est assurée en partie par des coopératives, des ateliers, notamment à Tazenakht, mais à la campagne, ou sous la tente des nomades, de nombreuses femmes tissent encore des tapis, pour elles et leur famille, ou pour un revenu non négligeable. En dehors de Tazenakht, d'autres coopératives, comme celle d'Agouim, produisent aussi des tapis de qualité.
Malheureusement, le terme « marchand de tapis », avec toutes ses connotations pas tellement positives, peut être appliqué à la plupart des bazaristes, qui vous inviteront d’un « plaisir des yeux » à boire une tasse de thé pour déployer devant vous tous leurs tapis, vous proposer la meilleure affaire possible. Ce moment peut devenir un vrai plaisir si vous en connaissez un peu sur les tapis, suffisamment pour faire comprendre que vous n’achèterez pas n’importe quoi n’importe comment, et aussi pour donner envie au bazariste de partager son savoir... car il connaît bien les tapis, et en l’entraînant à en parler, vous passerez peut être de longues heures passionnantes, pendant qu’il vous montrera ses vrais trésors.
Photos de tapis marocains
Les différentes sortes de tapis
Les tapis « de ville » se fabriquent essentiellement dans la région de Rabat, et c’est ainsi qu’on les nomme. Leurs motifs, géométriques et floraux, sont fortement inspirés des tapis turcs, qui leur ont servi d’inspiration au début. Les tapis des villages et des nomades sont très variés, et même s’ils sont plus rustiques, peuvent être aussi d’excellente qualité. On va les différencier en fonction de leur mode de fabrication (tissés, noués, brodés), de leurs bordures (un ou deux côtés à franges, ou quatre côtés), de leur matière, en laine ou en fibres végétales, et bien sûr en fonction de leur origine et des motifs et couleurs traditionnels de chaque tribu. Les tapis peuvent donc être :
- tissés et noués
- tissés et brodés, c’est le hembel, hanbel ou encore mergoum (en berbère), que les marchands vous désigneront habituellement comme des kilims
- tissés, noués et brodés en relief, les plus précieux.
Les tapis de Chichaoua, par exemple, sont tissés et noués, souvent de couleur unie (rouge ou ocre), mais travaillés pour pouvoir être utilisés recto-verso, avec une face pour l’hiver et une pour l’été. Les Hamdira du Haut-Atlas ont de très longs nœuds, et servent de tapis, de couvertures et même de manteaux. C’est l’habit traditionnel des mariées de la région d'Imilchil. La photo ci-contre montre une belle collection de pièces anciennes. Les tapis glaouas (du nom de la tribu des Glaouis, qui ont régné pendant un demi-siècle sur le sud du Maroc, de Marrakech jusqu’aux confins de la vallée du Draa) sont tissés, noués et brodés, ce qui donne un très bel effet de relief. Ils sont aussi reconnaissables à leur quatre côtés frangés, une exception au Maroc. Ils sont dans des tons intenses et chauds, noir, oranges et jaunes, tandis que les tapis de Ouarzazate sont plutôt dans les rouges, bleu et blanc, comme ceux de Tazenakht, connus pour leurs couleurs vives, qui ont peu à peu essaimé dans tout le Maroc. En remontant au nord, vers le Moyen-Atlas, les fonds deviennent beige.
Comment on fait un tapis marocain
Seules les femmes fabriquent les tapis, et seuls les hommes les commercialisent, à de très rares exceptions comme justement la coopérative d’Agouim, où les femmes vendent leur production elles-mêmes. La laine sera de mouton, jamais de dromadaire ou de chèvre. On peut aussi pour les tapis légers de l’été ou les nattes (agoutil) utilisées sous la tente sous les tapis, prendre de la fibre végétale, comme le cactus ou l’alfa. Enfin, si jamais on essaye de vous vendre un tapis avec de la soie, vous pouvez être sûr qu’il n’a pas été fabriqué au Maroc, car la soie n’a jamais été utilisée.
Le fond bleu de ce mergoum a été obtenu avec de l'indigo. Les motifs représentent un grand rassemblement, les tentes sont autour de la palmeraie. Les petits triangles à l'intérieur du rectangle central représentent les tentes "habituelles" de part et d'autre des parcelles cultivées.
Les couleurs traditionnelles étaient faites à partir de végétaux, d’écorce, d’urine de vache ou de sulfate de fer. Elles sont maintenant souvent remplacés par des laines directement teintes chez le producteur, avec des couleurs synthétiques. A long terme celles-ci tiendront beaucoup moins bien, en revanche, à court terme, les couleurs naturelles peuvent parfois dégorger, et tacher le canapé sur lequel vous aurez étendu votre hanbel. Naturelles ou synthétiques, les couleurs des tapis neufs vont bouger, et passer un peu. Mais les couleurs naturelles se stabilisent en quelques années, alors que les couleurs synthétiques continuent à s’affadir.
Le safran, en plus de sa belle couleur jaune, donnait une protection contre les mites. Très cher, il peut être remplacé par des peaux de grenade cuite dans des pots en terre.
Les rouges sont faits avec du coquelicot, de la garance, du henné ou de la cochenille.
Les jaunes avec du safran et du henné, les verts avec de la luzerne ou des feuilles de cumin, le bleu bien sûr avec de l’indigo.
Le métier nomade est un métier vertical. Il donne des tapis à un seul côté frangé. Il est aussi beaucoup utilisé dans les villages. Les coopératives, dans les villages, disposent généralement de quelques métiers, qui sont déplacés de maison en maison, à tour de rôle. Toutes les femmes vont alors se réunir autour du métier, et tisser ensemble, en famille, avant qu'il soit déménagé une fois le tapis achevé. Le tapis est tissé avec une navette de cèdre, puis rebrodé avec une aiguille en argent très fine. Les couleurs des tapis neufs vont bouger (moins si ce sont des couleurs naturelles que si ce sont des couleurs synthétiques, de plus en plus fréquentes), et ne se stabiliseront qu’au bout de plusieurs années. Il est normal que votre kilim passe un peu.
Les motifs des tapis berbères traditionnels
- le zigzag, un mode de voyage, représente aussi l’eau pour plus de contacts
- les triangles inversés (comme un ><)représentent beaucoup de tentes opposées, la fête, le moussem, la rencontre
- le scarabée est le symbole de la protection contre le mauvais œil
- la pyramide montre à la fois la pyramide sociale, aussi la maison, le douar, ou la grande tente avec les trois générations sous le même toit, les parents, les fils et les belles-filles et les petits enfants
- les losanges représentent les 4 points cardinaux, le carré au milieu des losanges représentera les 4 éléments, les 4 saisons
- la fibule, symbole amazigh, est une arme, son côté pointu perce l’oeil de celui qui veut vous jeter un sort, elle perce le mauvais œil, et elle est orientée vers son ennemi
- les dromadaires symbolisent la dot, et aussi le moyen de chercher une nouvelle vie, ils sont typiques des tapis de mariage
- les nœuds représentent les kasbahs, quand le tissage représentera les champs, les rivières, les montagnes.
Acheter un kilim berbère
On achète un tapis à un marchand de tapis… c’est là tout le problème ! Les fabrication des grandes coopératives sont contrôlées par un organisme d’état fixant des prix officiels au mètre carré. Ces tapis sont identifiés par des étiquettes :
- orange pour une qualité extra (>360.000 points an mètre carré)
- bleu pour la qualité supérieure, verte pour la qualité courante
- jaune pour la qualité moyenne.
Sans ces étiquettes (ou pour les vérifier) voici quelques indications pour estimer la qualité :
- Les lignes des dessins, comme les bords du tapis, doivent être bien droits, bien nets, et pas ondulants (tissage relâché).
- On peut vérifier que les nœuds sont bien serrés en grattant avec son ongle.
- Arracher un bout de laine sur l’arrière du tapis, et le brûler il ne doit pas fondre, mais ne brûle pas et doit sentir le mouton grillé.
- Enfin, il ne doit pas y avoir de soie, qui n'a jamais été utilisée dans les tapis marocains.
Le premier voir le seul mobilier d'une tente, ce sont les tapis, jettés au sol, empilés pour servir de lits, et même de couvertures.
Payer le bon prix ou le juste prix pour un tapis marocain.
Au Maroc, tous les prix se négocient, même entre marocains. En dehors des magasins "prix fixes" et des prix contrôlés par l'état (comme celui du pain), il n'y a pas un prix, mais une multitude de prix possibles pour le même article, qui dépendront de la saison, de la bonne humeur du marchand, de son besoin d'argent, de votre sourire et de votre aptitude à négocier, et de beaucoup d'autres impondérables, on est au pays du "Inch Allah" après tout.
Dans ce contexte, le bon prix est celui qui vous rendra heureux, et qui vous permettra d'emporter avec plaisir un article dont vous avez vraiment envie. N'achetez rien dont vous doutiez. Les bazaristes sont très doués pour emporter la décision, simplement par la tchache, par la pitié (combien d'entre eux ont une famille entière à nourrir, qui n'attend que vous pour manger enfin autre chose que du pain sec...), ou même quasiment par la force.
J'ai vu certains guides de connivence avec des marchands quasiment arracher la carte bleue de leur client et les pousser moralement à signer. Mais rien ne vous oblige réellement à signer la facturette, et il reste en tout état de cause plus prudent de prétendre n'avoir que du liquide sur soi...
Une bonne affaire sera 3 à 4 fois moins chère qu’en France. Que vous fassiez expédier ou que vous emmeniez vous-mêmes, vous devrez rajouter les coûts de transport (entre 6 et 12 euros le kilo d'excédent de bagages sur les compagnies aériennes), et les éventuels droits de douanes et TVA à l'arrivée en Europe, surtout si le tapis est volumineux. (Il n'y a plus de droits de douanes pour la CEE depuis le premier janvier 2009, le Maroc ayant des accords privilégiés). Pensez à réclamer la facture, celle ci doit mentionner la TVA marocaine pour que vous puissiez la déduire du prix lors du dédouanement.
Plus la bordure est large et compliquée, plus le motif est riche, plus le tapis sera cher. L’épaisseur de la laine est aussi un critère de qualité et de prix, car les tapis de laine souple ne supportent pas les allées et venues fréquentes et encore moins nos chaussures et nos talons. Ils peuvent en revanche faire de très beaux dessus de lits ou jetés de canapé. Il faut compter en général 800 à 1200 dirhams par mètre carré, jusqu’à 600 à 1000 si vous êtes bon négociateur et en basse saison. Les kilims commencent à 300 dirhams le mètre carré, les glaouias au moins à 700 dirhams