Faux Aissaouas sur la place Jemaa Fna
Un mail circule en ce moment sur le net, pour dénoncer l’utilisation des animaux par les charmeurs de serpent de la place Jemaa Fna à Marrakech.
Oui, ces animaux sont maltraités
Voici quelques extraits :
À Marrakech, la Place Jemaa-El-Fna doit une partie de sa renommée aux traditionnels charmeurs de serpents. L’imposture de leur talent [..induit] la maltraitance des cobras, des vipères heurtantes, des couleuvres de Montpellier et autres, aux fins de la perpétration d’un bien douteux spectacle moyenâgeux. La plupart de ces belles espèces sont soit menacées d’extinction en Afrique du Nord, soit sont en régression alarmante.
Une fois prélevés dans la nature, ces animaux ont la plupart du temps leurs crochets venimeux arrachés, ce qui occasionne l’apparition d’abcès qui provoquent une mort lente et douloureuse. Il existe quelques rares exceptions qui confirment la règle [...] Ces serpents [...] sont contraints d’adopter systématiquement une position de défense absolument stressante, meurent TOUS et sans exception d’épuisement après quelques mois, deux ou trois tout au plus. [...] nombreux sont les malheureux cobras, vipères heurtantes et de Mauritanie, couleuvres de Montpellier et couleuvres fer à cheval qui, « attendant » d’être vendus, sont maintenus des mois durant dans des boites infectes où beaucoup finissent par mourir de soif ou de faim.
Ne pouvant plus se nourrir par eux-mêmes, ils sont gavés de force. Stressés par de fréquentes manipulations ou par l’obligation qui leur est faite d’adopter une posture de défense, ils meurent très rapidement après une courte vie moribonde, au service de la cupidité et d’une bêtise inhumaine.
Mais la suite est moins convaincante
Les questions posées dans un plaidoyer très sincère ne me semblent pas les bonnes.
Pourquoi alors voit-on tellement (beaucoup trop) de touristes étrangers, et notamment français, se repaître de ces spectacles lamentables ? Pourquoi ne les voit-on pas plus souvent s’insurger face à ces abominations, illustrées sur cette place et dans le souk attenant par de tels spectacles et exhibitions d’animaux ? [...] La stupide complaisance des touristes aura seule permis pendant ces longues années une telle hécatombe. Pendant combien de temps encore ?
Curieux, comme ce qui semble n’être pas admis en France et en Europe le devient au Maroc, au nom d’un relativisme culturel aussi suspect que dangereux. C’est vrai pour tout. Le Maroc ne doit pas devenir un pays de droit…
C’est pourtant oublier que là où il y a des acquis, en France ou ailleurs, ceux-ci ont été obtenus après un long parcours de luttes. Tant il est et reste vrai que l’oppression qu’elle quelle soit, y compris à l’endroit de ceux qu’on appelle commodément « les animaux », ou à l’égard des femmes ou des hommes d’autres races, a été et reste, bien qu’inégalement, un mal que nous constatons partout sur cette planète. [...]
Touristes, svp, détournez-vous des spectacles indignes qui maltraitent les animaux, ou mieux encore, dénoncez-les ! Détournez-vous de ces dompteurs de petits singes, attachés court et contraints, sous les coups, à exécuter de consternantes pirouettes. Détournez-vous aussi de ces sordides marchands du souk qui proposent des animaux morts ou vifs, pour la plupart espèces protégées.
Place Jemaa-El-Fna, il y a un Commissariat de Police, n’hésitez pas à aller exprimer votre indignation !
Méconnaissance du Maroc, méconnaissance des vrais problèmes
J’ai toujours un malaise quand les gens qui s’indignent de la mauvaise condition des animaux de travail au Maroc ne semblent pas penser un instant à la condition de leurs maîtres, à la pauvreté de leur vie, au dénuement de leurs maisons.
La civilisation musulmane n’est pas cruelle envers les animaux. Le Coran recommande même de ne pas faire souffrir les bêtes.
En revanche, souvent, l’ignorance et la pauvreté se conjuguent pour générer des mauvais traitements dont nous voyons bien plus facilement les résultats sur l’âne que la maladie de son maître, devenu diabétique à force de ne se nourrir quasiment qu’au thé sucré, comme beaucoup de marocains.
Bien sûr, il ne faut pas être angélique, il y a comme partout des indifférents, et des gens cruels. Il y a surtout une majorité de marocains qui traitent leurs animaux comme un outil, du mieux qu’ils peuvent, dans l’état de leurs connaissances et de leurs capacités économiques.
La deuxième chose, c’est l’erreur profonde de croire que ces attractions sont faites pour les touristes européens, et qu’il suffirait que ceux ci s’en détournent pour qu’elles cessent.
La manipulation des serpents est rattachée aux rites magiques et aux pouvoirs d’une des plus célèbres confréries du Maroc, les Aissaoua, originaires de Fès et Meknès, célèbres notamment pour leur exorcisme par le feu, et leur maîtrise des serpents.
Les faux Aissaouas de la place Jemaa Fna ne sont pas là seulement pour les touristes européens, mais beaucoup plus pour les marocains. Les touristes européens passent quelques minutes, ne se laissent pas prendre à leur pouvoir, car eux savent déjà depuis belle lurette que le « charmeur » n’a pas de pouvoir réel.
Beaucoup de marocains y croient encore.
Les solutions
La première chose est effectivement de ne pas participer, que ce soit aux attractions des charmeurs de serpents, ou aux autres trafics d’animaux, tortues, gecko, iguanes….
La deuxième chose est d’expliquer pourquoi, et simplement d’informer sur la souffrance des animaux, sur les risques, et sur le fait que les touristes préféreront toujours un pays avec sa faune qu’un pays où les animaux sont en cage.
Si je pouvais voir à Merzouga ou Chigaga les oryx que j’ai admirés en Namibie, ce serait le paradis sur terre…
C’est la règle de base « la protection animale doit payer pour elle-même ». Quand les charmeurs de serpents auront plus d’intérêt à faire des circuits de découverte écologique, les choses s’amélioreront d’elles-mêmes.
En revanche je déconseille fortement d’aller porter plainte au poste de police.
Les policiers marocains ont d’autres chats à fouetter, et policiers et marocains apprécieront peu que des touristes essaient de leur dicter la loi chez eux.
Il y a face à l’ancien colonisateur des réactions épidermiques, qui font que toute intrusion dans ce qui est considérée comme les « affaires intérieures » poussera plutôt à s’accrocher à ses traditions qu’autre chose.
Et finalement, je voudrais rappeler que la vie des charmeurs de serpents n’est pas sans risque. Le dernier charmeur de Ouarzazate est mort il y a quelques années, en allant dénicher de nouveaux serpents.
Il laissait d’ailleurs des enfants assez jeune.
Depuis personne n’a eu le courage de reprendre son travail. « Pour ce que cela rapporte ».
C’est la meilleure protection des animaux, que l’homme puisse gagner mieux sa vie en les respectant qu’en les exploitant.
5 Comments
Alors que j’ai pour habitude de défendre bec et ongle la cause animale, je n’avais bêtement jamais imaginé les conditions de traitement de ces pauvres serpents. Mais il faut savoir que les touristes étrangers ne s’offusquent pas plus des serpents de Marrakech que des tortures animales perpétrées dans leurs pays ! Pensez vous que les animaux qui sillonnent les routes d’Europe dans les cirques sont des animaux heureux ?! Croyez vous que l’on puisse tolérer de porter de la fourrure animale quand on connaît les maltraitances perpétrées dans les fermes à fourrure ou pire la manière de dépecer en Chine ?! Pensez vous qu’il est humain d’élever des animaux qui sont généralement de compagnie (chiens, chats, souris…) dans le seul but de leur infliger les pires souffrances au nom de la recherche scientifique, de la médicine et de la cosmétique ?!
Alors si les touristes étrangers se réjouissent des charmeurs de serpents dans notre beau pays, c’est tout simplement parce qu’ils s’en foutent complètement de la cause animale et non pas parce qu’ils tolèrent des activités qu’ils blâmeraient chez eux…
Merci en tous cas pour ce post en espérant qu’il fasse passer le message à un maximum de personnes désinformées.
Bonjour,
2tant l’un des deux auteurs de l’article dont des extraits sont cités, je me permets d’attirer votre attention sur le fait que depuis cet article j’ai rédigé un « Appel au boycott des spectacles de serpents et autres pratiques basées sur la maltraitance animale et l’exploitation de la biodiversité au Maroc ».
Concernant ce que je lis sur votre site, je remarque à côté de commentaires intéressants quelques erreurs. Ainsi l’argument selon lequel les spectacles s’adresseraient principalement aux marocains. Eh bien, c’est oublier que le phénomène du tourisme a démultiplié les spectacles et par conséquent les captures de serpents. On trouve de tels spectacles jusque dans les « grands » hôtels d’Agadir. Je dispose de photos qui seront bientôt publiées…
D’autre part, il est affirmé que le « dernier » Aïssaoui est mort il y a quelques années dans l’exercice de son « métier » : « Le dernier charmeur de Ouarzazate est mort il y a quelques années, en allant dénicher de nouveaux serpents. » C’est complètement faux ! Je connais personnellement plusieurs Aïssaoua, lesquels travaillent quasiment CHAQUE JOUR afin de capturer cobras, vipères, couleuvres. Et je sais qu’ils sont plusieurs DIZAINES.
Alors attention à la sous-estimation du phénomène. Si ceux-là sont relativement pauvres, il en va tout autrement des faux Aïssaoua qui exercent leur charlatanerie à Marrakech et ailleurs.
Il est parfaitement erroné d’affirmer qu’en France et en Europe en général, il n’existe pas de protestations concernant le sort réservé à la faune sauvage, à la biodiversité en général, à la maltraitance animale, etc. Il y en a beaucoup, mais ce n’est pas encore assez. Par contre au Maroc, et ce pas seulement dans ce pays parce qu’il serait pauvre (que dire de l’état de la faune en Arabie saoudite, au Quatar, au Koweit ?), il existe très, très peu (c’est le moins qu’on puisse dire) de protestations et d’initiatives en général visant à protéger les espèces menacées et à limiter la maltraitance dont sont victimes d’innombrables de nos cousins animaux…
Enfin, et j’en terminerai là, je propose sur le site du GEOS une solution alliant protection réelle de la biodiversité, dont les cobras et autres serpents, et création d’emplois bien rémunérés… Allez voir l’exposé Powerpoint dont le lien se trouve en bas de la page contenant l’Appel au boycott…
Bonsoir Michel,
je suis sur le fond d’accord avec votre position sur la maltraitance des animaux, et je vous rejoins tout à fait sur la partie « spectacles pour touristes ».
Mais quand vous passez place Jeamaa Fna, vous voyez aussi énormément de marocains dans les attroupements, et par exemple le soir où j’ai pris cette photo, j’étais quasiment la seule aroumin dans le cercle.
Par ailleurs, il ne faut pas confondre Aïssaouas et charmeurs de serpents. La plupart des charmeurs sont des gens normaux, comme vous et moi, qui se rattachent au prestige d’une zouaïa extrêmement puissante et respectée. Un véritable Aïssaoua n’ira pas mendier à Jemaa Fna.
Et vous ne m’avez pas citée avec exactitude quand vous parlez du dernier Aïssoui de Ouarzazate. J’ai parlé de charmeur de serpent, il n’y a pas d’Aïssaoua à Ouarzazate. Je connaissais personnellement cet homme, et si vous pouvez me présenter son successeur à Ouarzazate, je serais très intéressée ! Que des Aïssaouis continuent à utiliser leur savoir et à dénicher des serpents est certain, je ne le conteste pas. Mais aujourd’hui, à Ouarzazate ? avez vous vu récemment un spectacle de charmeur de serpent à l’attention des touristes ?
Où ai-je dis qu’il n’y a pas de protestation en France et en Europe ? J’ai beau relire mon texte, je ne vois pas …
Il est exact qu’il y a très peu d’initiatives pour la protection des animaux au Maroc. Encore une fois le Maroc est pauvre, et la gestion des priorités du pays est dirigée vers les humains.
Je continue à penser qu’il vaut mieux expliquer et informer que dénoncer. Parler de « barbarie » de « traditions à envoyer dans les poubelles de l’histoire » n’est pas ce qui vous ouvrira les oreilles des gens.
Que si votre indignation est justifiée, sa forme et les réponses que vous y apportez ne sont pas adaptées (et je doute par exemple que la seule mesure de formation des Aïssaouas suffise à remplacer les revenus qu’ils perdraient),
Que de nombreux désastres écologiques sont en cors au Maroc, et que malheureusement celui-là est loin d’être un des pires, et qu’il a moins de conséquences sur la vie des marocains que la destruction de la forêt.
J’ai été initiée enfant à la magie des serpents par Nicole Villoteaux. Je les aime et je les admire.
J’ai répondu à tous les commentaires de l’article, pas seulement au votre ! Dans un des commentaires, voila ce qu’on peut lire: « Mais il faut savoir que les touristes étrangers ne s’offusquent pas plus des serpents de Marrakech que des tortures animales perpétrées dans leurs pays ! Pensez vous que les animaux qui sillonnent les routes d’Europe dans les cirques sont des animaux heureux ?! » Etc.
Vous écrivez que vous n’avez pas écrit que le dernier Aïssaoui était mort. Bien qu’il ne s’agisse pas principalement des Aïssaoua dans ma réponse, mais de ceux qui capturent les serpents, il ne faut pas oublier que la plupart du temps ce sont des Aïssaoua qui capturent les serpents pour les vendre aux charlatans. D’où la nécessité de le rappeler face aux nombreux lecteurs qui croient ou pourraient croire comme cela avait été affirmé à tort dans une revue que ce « métier » serait en passe de disparaître faute de candidats.
Par ailleurs, je ne propose pas seulement de former les Aïssaoua. Les former d’ailleurs à quoi? Mais de créer des emplois de guides pour excursions naturalistes (véritable écotourisme à opposer au pseudo-écotourisme trop répandu)et les former à CET EFFET…
Vous écrivez que je n’ai pas la bonne méthode. Eh bien allez consulter les signatures. Il en reste encore beaucoup à mettre sur le site ! Je reçois, nous recevons énormément de soutien… Et je vous propose d’en reparler plus tard, car vous constaterez d’autres effets dont je ne veux rien dire maintenant.
Vous pouvez vous associer à nous en publiant l’Appel…
Vous savez, si j’ai un tort et vous semblez le partager avec moi, c’est bien d’avoir attendu trop longtemps. D’avoir laisser faire. Que reste t’il maintenant ? Je parle surtout du Maroc où je suis né 49 ans plus tôt. L’immense erreur consiste dans l’approche, l’attitude, les préjugés et pratiques anthropocentriques. Elles nous ont coûté des centaines de millions de morts humaines, oui, oui, oui et elles menacent de nous coûter bien plus cher….
On dit, on écrit, on pense « les hommes d’abord ». En fait, en réalité cela revient toujours à penser certains hommes d’abord. Contre d’autres… La suite est terrible.
C’est notre histoire, pas celles des peuples conquis et exterminés par nous. Nous, c’est tout autant les occidentaux que les « orientaux ». Les seuls peuples qui vivaient avec les autres espèces et ce à égalité, nous leur avons enlevé ou leur enlevons encore là où ils subsistent la vie et les bases de la vie. Je fais allusion aux peuples de chasseurs-cueilleurs et à eux seuls…
On a tout à gagner à corriger le tir, et ce dans chaque pays. Je suis né au Maroc, je l’habite, il est légitime que je ne l’oublie pas…
Helo ! Cela fait quelques temps que je lis ce blog et je tenais à dire que c’est très agréable ! Le design est vraiment charmant ;)
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