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  • Lieux de mémoires marocains : les dromadaires de Rabat

    Soyons un peu intellos pour une fois :)

    Un historien français, Simon Nora, avait écrit un excellent pavé sur les de l’histoire française, où comment des événements, des lieux, des personnages, prennent peu à peu leur place dans une mythologie historique, s’éloignant parfois de la réalité factuelle, pour devenir des symboles, que tout le monde identifie pour ce qu’ils ont été crées, et pas ce qu’ils sont.

    Un palestinien chrétien professeur à l’Université de Columbia, Edouard Saïd, a quant à lui écrit un livre sur ce qu’on pourrait aussi qualifier de lieux de mémoire, d’une certaine façon. , où comment c’est notre vision de l’Orient qui a créé une entité qui n’existait pas. Livre fondateur des études post-coloniales, il y a beaucoup de vrai, même si aujourd’hui certains vont plus loin, où rappellent que l’Orient si divers inclus aussi quelques pays qui ne furent jamais colonisés.

    Et ma copine Fatima, qui souffre de ma façon de conduire à Saint-Lazare, et lit Edouard Saïd dans le métro, s’étonne qu’on lui demande, à elle qui est de là-bas, si les roses des sables viennent bien du pipi des dromadaires. Parce qu’elle est “de là bas”, certes, mais de Rabatqui est tout sauf près du désert, et qu’elle n’a jamais vu un dromadaire faire pipi sur le sable de sa vie.

    Ça tombe bien, il y a quelques jours, on parlait justement sur un forum de voyages de la possibilité de faire du dromadaire à Rabat.

    D’où il ressortait que s’il n’y a jamais eu de dromadaires à Rabat, autrement que pour les touristes (Fatima a raison), il y en a quand même, en saison, près de la kasbah des Oudayas, et qu’ils trainent sur la plage pour la petite balade de 10 minutes et la photo, et qu’il est donc possible de les voir faire pipi, mais sur un sable trop humide pour produire une seule rose. Et que ces dromadaires ne sont pas importés du grand sud, mais d’une ferme toute proche, à Bouznika, qui les élève et rentabilise donc ses femelles (car on ne mélange jamais les mâles et les femelles, le dromadaire étant, sous ses dehors placides un grand fou auprès duquel le loup de Tex Avery est un castrat sexagénaire).

    C’est vrai, le “colonialisme” au sens large peut se cacher dans bien des discours. Y compris celui de l’orientalisme, et des rêves. Mais le Maroc des marocains, celui des voyageurs, celui des touristes qui cherchent simplement un moment de repos ou de golf agréable au soleil, sont trois pays totalement différents.
    Mes amis marocains, s’ils vivent au nord de Tichka ne connaissent pas mon Maroc. Ils rêvent parfois de descendre le découvrir, mais passent rarement à l’acte. Ils ne sont - presque - jamais allés sous la tente, ou dans des vraies kasbah. Ils sont dans leur vie, celle d’un pays qui n’a pas que ses déserts et ses riads, mais aussi toute une activité économique, des grandes villes, des bus, du stress…. bref, la température mise à part, à certains endroits, Casablancaet Rabat ressemblent à n’importe quelle métropole européenne.

    Mais le cliché n’est pas toujours néo-colonialiste. Il se créé aussi à partir de ce qu’un pays veut montrer sur lui-même. Les spots de pub, les reportages, les cartes postales, les films, en font autant dans ce balisage de “lieux de mémoire” un peu beaucoup imaginaires que les restes d’une vision orientaliste comme Saïd l’a décrite.
    Je suis française, et depuis plus de dix ans je vis à l’étranger. J’ai un peu la même réaction que Fatima quand on me parle encore et toujours de “Paris, à l’amour” (parce qu’à huit heures et demie, le matin, dans le métro qui va à la Défense, l’amour, toujours l’amour et les petites femmes de Paris, ça a une autre tête), ou des cuisses de grenouilles que je n’ai jamais mangées. Et si j’avais été provinciale, et pas parisienne, je crois que cela m’aurait encore plus embêtée que l’on ne me parle que de la capitale.
    Mon autre pays d’adoption est l’Allemagne, et les réactions marocaines sont aussi pleines de stéréotypes sur la qualité, la propreté, etc… Les Allemands, quant à eux, en général, ne voient le Maghreb que comme un magmas sans frontière précise, avec du sable, une très grande plage où on vient en Mobilhome pour hiverner, et des endroits où les terroristes assassinent les touristes dans des grands temples. Mais ils connaissent beaucoup mieux la Turquie, où les sables de la Namibie. Cela reste pour eux aussi un “là-bas”, que j’appelle moi “ailleurs”.

    Sur leur pays même, les Marocains inventent ou reprennent les mêmes clichés “orientalistes”, servant en quelque sorte la soupe que les visiteurs souhaitent. Que ce soit la création de la légende d’ ou celle plus récente des “hommes bleus” de (Il n’y a jamais eu d’hommes bleus à Merzouga, ni à un quelconque endroit au Maroc, sauf à l’époque où le Maroc s’étendait sur toute la Mauritanie), ces clichés sont un des moteurs de l’industrie touristique.

    Et quand des clients marocains eux mêmes nous demandent de découvrir le sud, et les hommes bleus, y a-t-il là une sorte de néocolonialisme ? Ou plutôt une ignorance de sa propre histoire, et la création d’un mythe ?

    Pour un marocain, un étranger, c’est un “aroumin”, un romain donc, trace d’une très lointaine colonisation. Mais nous ne venons pas tous de Rome, loin de là. Un autre “là bas…” et “en ce temps” réuni !

    PS : bien sûr, ce n’est pas le pipi du dromadaire qui fait la rose des sables. Enfin pas exclusivement. C’est l’évaporation d’eau infiltrée dans le sable des déserts. N’importe quelle eau… donc y compris le pipi de la gerbille, et ça les gerbilles, je n’en ai jamais vu à Rabat !

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