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  • La nouvelle constitution marocaine

    Vendredi dernier à 21 heures, le Roi a fait un discours officiel en arabe, à la télévision, pour annoncer le projet de constitution. Attendu, bien sûr et écouté partout, ce discours et le projet qu’il porte ont été reçus de façon très diverse, entre soutien inconditionnel, « servile » pourrait-on dire, ce ceux qui s’enthousiasment sur un discours historique, une entrée dans la démocratie, un pas en avant pour le Maroc comparable à celui fait sur la lune, et d’autre part les opposants, partisans d’un non ou d’un boycott, « à l’avance » et qui voient dans les faiblesses du projet la confirmation de ce qu’ils avaient toujours dit.

    Et si, comme d’habitude, la vérité était au milieu ?

    Il a fallu attendre le lundi pour que sorte la version intégrale en français. (Ce qui est normal, c’est un texte long), et jusqu’à tout à l’heure, je devais, pour me faire une opinion, me reposer sur les résumés / traductions des blogueurs marocains.

    Après trois bonnes heures de lecture au stabilo « comme à la fac », en voici ce qui me semble essentiel.

    Les points essentiels du projet de Constitution marocaine

    Ce qui me frappe d’abord, c’est la longueur du texte, avec 180 articles, soit presque le double des 89 articles de la constitution française, et 80 de plus que la constitution actuelle, et surtout un certain nombres d’articles qui sont une longue énumération. L’autre point, c’est le caractère d’actualité de ce texte, qui se place manifestement à un moment de l’histoire du Maroc, avec la volonté de répondre à un certain nombre d’enjeux actuels, plus que de se poser comme un texte fondamental qui sera encore valable dans cent ans (mais c’est aussi du réalisme… peu de pays, malheureusement, ont des constitutions centenaires).

    Le préambule de la constitution

    C’est particulièrement visible dans le texte du préambule dont la première phrase est :

    Fidèle à son choix irréversible de construire un Etat de droit démocratique, le Royaume du Maroc poursuit résolument le processus de consolidation et de renforcement des institutions d’un Etat moderne…
    Comment dire plus clairement « on est en route mais on n’y est pas arrivé encore » ?

    Le point essentiel du préambule c’est l’ancrage du Maroc en tant qu’état musulman souverain, respectueux de toutes les composantes de son histoire (et en plus de la culture amazighe dont la langue devient officielle, après la communauté saharienne, la communauté juive est spécifiquement nommée). Juste après l’affirmation du caractère musulman de l’état (exit donc toute vision laïque) vient l’affirmation des valeurs d’ouverture et de tolérance, et un plus loin dans le texte de la constitution on trouvera la mention d’une religion musulmane modérée.

    Une fois que le Maroc s’affirme musulman, vient l’attachement aux Droits de l’Homme, et l’engagement à respecter les chartes et conventions internationales. Puis une partie très intéressante, l’affirmation de la politique internationale du Maroc, avec un ordre qui n’est pas anodin. Le Maroc veut donc, dans l’ordre :

    1. oeuvrer à la construction de l’Union du Maghreb (donc l’union avec le voisin Algérien, et le plus lointain voisin Libyen)
    2. approfondir le sens d’appartenance à l’Oumma arabo-islamique (l’Oumma, c’est la communauté des croyants musulmans, pour faire simple)
    3. consolider les relations de coopération et de solidarité avec les pays du Sahel et du Sahara
    4. intensifier les relations avec le voisinage euro-méditerranéen
    5. renforcer la coopération sud-sud.

    On voit que l’Europe n’est même pas nommée en tant que telle.

    Enfin le Maroc veut bannir toute discrimination […] en raison du sexe, de la couleur, des croyances, de la culture, de l’origine sociale ou régionale, de la langue, de l’handicap ou de quelque circonstance personnelle que ce soit.

    Si on voit large, on peut considérer que l’orientation sexuelle fait partie de ces « circonstances personnelles », mais aussi d’autres points, aussi criants dans la société marocaine, comme l’absence de filiation légale pour les enfants de femmes célibataires…

    La régionalisation du Maroc et la berbérisation du pays

    Le même article un parle d’une régionalisation avancée, qui sera longuement détaillée, avec des instances locales élues, et l’affirmation en même temps d’une coopération entre ces régions, les plus riches finançant les plus pauvres. La régionalisation, c’est aussi la solution pour donner une autonomie sans indépendance au Sahara occidental, et sortir de l’imbroglio saharaoui. (D’où la référence dans le préambule la la composante hassania du Maroc… tout se tient). Il est créé un Conseil national des langues et de la culture marocaine. Surtout la langue berbère devient langue officielle (avec un délai, pour permettre une mise en place effective. Quand on sait qu’il existe aujourd’hui trois versions de berbère au Maroc, et que l’IRCAM a bien du mal à imposer sa normalisation, que l’école pour tous n’est une réalité que pour le primaire, on comprend qu’il y a beaucoup de chemin à faire pour arriver à transformer une langue encore enfermée dans son oralité il y a quelques années en une langue possédant tout le vocabulaire pour conclure des contrats, par exemple.

    La régionalisation est un enjeu majeur, dans un pays où  énormément de choses, de modes de fonctionnement, sont encore liés à l’appartenance régionale et ethnique. Même si « on » ne veut pas le reconnaître, même si au contraire, la constitution bannit toute discrimination, être berbère ou arabe, chleuh de la région d’Agadir ou au contraire du Rif, ou de la région d’Errachidia, c’est appartenir à des cercles qui ont un impact sur votre carrière, sur les métiers où vous pouvez, ou pas réussir.

    Il y a aujourd’hui une crainte réelle de voir cette régionalisation partir dans le décor, les régions riches abandonner les régions pauvres, ou même pour certaines, comme le Rif, vouloir faire sécession. Et en même temps, une demande très forte de reconnaissance de la spécificité régionale, et particulièrement berbère. Cette réforme a donc beaucoup d’enjeux… et fait face à beaucoup de dangers.

    Le pouvoir du roi

    Pour ceux qui s’imaginaient passer directement dans une monarchie parlementaire à l’espagnole où à l’anglaise, avec un roi sans pouvoir regardant le jeu politique, c’est tout simplement raté. Le roi reste d’abord et avant tout le Commandeur des Croyants, présidant le Conseil supérieur des Oulémas, qui est le seul habilité à émettre des fatwas (avis juridiques religieux) officiellement agrées. La religion est d’état, elle est encadrée par l’état, aussi.

    Par rapport à la version en cours de la Constitution marocaine, que l’on peut trouver ici, sur le fonds, les pouvoirs du roi changent peu. Sa majorité passe de seize à dix-huit ans. Les pouvoirs du Premier Ministre et du Parlement sont renforcés… tant qu’ils sont d’accord avec le Roi. Par exemple, il est écrit à l’article 50 que le Roi promulgue la loi dans les 30 jours qui suivent la transmission au gouvernement de la loi définitivement adoptée. On pourrait (naïvement ?) se croire dans une monarchie réellement parlementaire, où le Roi n’a pas d’autre choix que d’entériner les votes du Parlement (comme en Belgique, où le Roi préféra abdiquer quelques jours que de signer la loi autorisant l’avortement).

    Cependant, si on va jusqu’à l’article 95, on découvre que le Roi peut demander aux deux chambres du Parlement qu’il soit procédé à une nouvelle lecture de tout projet ou proposition de loi […] Cette nouvelle lecture ne peut être refusée.

    Le nombre d’aller-retours n’étant pas limité, il est clair que nul ne peut obliger le Roi à promouvoir un texte qui lui déplairait.

    L’ensemble de la constitution est à l’avenant. Malgré une organisation de la séparation des pouvoirs, malgré une protection des pouvoirs législatifs (contre l’état d’urgence, la dissolution) et judiciaires, le Roi reste plus qu’un arbitre, il est réellement un maître du jeu. Et au cas où on n’aurait pas compris, l’article 46 enfonce le clou La personne du Roi est inviolable et respect Lui est dû. Sans aucune des limitations habituelles (cas de haute trahison par exemple).

    Des conseils et des organes à profusion, et des détails, des détails…

    J’ai compté

    1. Conseil national des langues et de la culture marocaine
    2. Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination
    3. Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle
    4. Conseil consultatif de la famille et de l’enfance
    5. Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative
    6. Instance nationale de la probité et de lutte contre la corruption
    7. Conseil supérieur des Oulémas (déjà existant)
    8. Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire
    9. Cour Constitutionnelle
    10. Conseil économique, social et environnemental
    11. Conseil national des Droits de l’Homme
    12. Médiateur
    13. Conseil de la communauté marocaine à l’étranger
    14. Conseil de la concurrence
    15. Conseil Supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique

    En plus du Conseil du gouvernement (conseil des ministres chez nous) et des conseils régionaux… ça fait quand même un paquet de sièges, de prébendes et de placards dorés. Parce que si tout le monde discute dans ces conseils, quand est ce qu’on agit ?

    On en a autant, sinon plus « en France ». Mais ils ne sont pas tous, loin de là, inscrits dans la constitution. C’est sans doute ce que je trouve le plus dommage dans ce texte, et qui trahit, à mon avis la précipitation : il est comme une collection d’idées, dont certaines sont excellentes, d’autres … moins, mais il fait finalement penser à une liste de courses, « tous les trucs importants à protéger ou les revendications » plus qu’à une réelle loi structurante.

    Beaucoup de détails, trop ?

    Quand on lit dans ce texte par exemple que les pouvoirs publics apportent […] leur appui au développement de la création culturelle et artistique, et de la recherche scientifique et technique, et à la promotion du sport Et pourquoi pas de la gastronomie, ou de l’artisanat ? Il y a dans ce texte des détails surprenants pour une constitution, tandis que des points essentiels n’y figurent pas. Faut-il vraiment préciser dans l’article 5, que l’Etat veille à l’apprentissage et à la maîtrise des langues étrangères les plus utilisées dans le monde ?

    Si elle peut surprendre, la longue énumération de tout ce qui rentre dans le domaine de la loi (article 71) peut être comprise comme une façon d’asseoir le pouvoir du parlement, elle a aussi le risque d’être incomplète, aussi large que soit cette énumération à la Prévert.

    Extension des pouvoirs du Parlement et du Gouvernement

    Elle est réelle. Par rapport à la constitution de 1996, le Parlement et le Gouvernement exercent beaucoup plus de responsabilités. Il ne faut pas simplement oublier que le Roi reste l’arbitre suprême, et que ces pouvoirs ne peuvent pleinement s’exercer qu’en accord avec lui.

    Ce qui est intéressant, c’est qu’à plusieurs reprises dans le texte, on insiste sur l’alliance des droits et des devoirs, et la nécessite de la bonne gouvernance, qui fait même l’objet d’un titre entier.

    Cette extension, réelle mais incomplète, repose donc quasiment entièrement sur le bon vouloir du roi à respecter le jeu démocratique. Des barrières réelles sont posées (impossibilité de dissoudre pendant l’état d’urgence, par exemple, limitation dans la durée de celui-ci, etc), mais au quotidien, c’est l’attitude du Roi, des membres du Gouvernement et des élus qui va instituer la pratique de la Constitution, et donc la réalité du transfert de pouvoirs ou pas. Et c’est le point le plus problématique, car il faut reconnaître que la classe politique marocaine actuelle n’est pas dotée d’une combativité agressive, quant aux opposants, qu’ils soient dans le Royaume ou exilés, ils n’ont pas non plus un pouvoir moral fort.

    Le rôle des partis

    Il est renforcé. L’article 61 renforce le pouvoir des appareils quand il précise que tout parlementaire qui changerait de parti après avoir été élu est déchu de son mandat. Pour comprendre le « pourquoi » de cet article, il faut savoir que le PAM, le partie de Fouad Ali Himma, « l’ami du roi » qui avait été tellement vilipendé par les jeunes du 20 février, s’est quasiment créé de cette façon, petit parti avant les élections, il a ensuite débauché de nombreux parlementaires élus. Malheureusement, le système des partis, avec des vieux caciques hors d’âge, est un frein à l’évolution de la vie politique marocaine. Les renforcer de la sorte peut se comprendre, d’un certain côté, mais d’un autre, je crois que ce n’est pas une bonne chose, en l’état actuel.

    En même temps, l’article 7 mentionne que les partis ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, ethnique ou régionale. Je crois que cette « petite phrase » est essentielle. Je n’en ai pas trouvé l’équivalent dans la constitution actuelle. En pratique, c’est l’épée de Damoclès qui permet de déclarer illégal tout parti « islamiste » ou « amazigh ». La menace qui permet non seulement de gérer de très près les islamistes légaux, mais aussi de réprimer encore plus fortement les partis islamistes non officiels, si on le décide.

    L’article 10, lui consacre l’obligation des groupes d’opposition à participer de façon active et constructive au travail parlementaire. Une optimiste forcenée y verrait le rappel du « shadow cabinet » britannique. Mais plus généralement, la participation de l’opposition au travail parlementaire et son rôle global comme un élément du jeu démocratique est souligné dans ce texte.

    Mécanismes de démocratie directe, intégration des émigrés.

    Des mécanismes de démocratie directe sont introduits, que je trouve assez avancés (sous réserve des conditions d’application)

    Les citoyens et les citoyennes disposent du droit de présenter des propositions en matière législative, et de présenter des pétitions aux pouvoirs public. (Et c’est répété au niveau régional).

    Les Marocains de l’étranger, quant à eux jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d’être électeurs et éligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections […] locales, régionales et nationales.

    C’est nettement plus que ce que la constitution française m’accorde !

    L’importance du vote est proclamée : le vote est un droit personnel et un devoir national ce qui explique l‘illégalité de l’appel au boycott.(je reviendrai là dessus dans le prochain post, sur les réactions à la constitution).

    Il faut savoir que la participation aux élections est en général très faible au Maroc, ce qui est une plaie, car c’est un cercle vicieux qui éloigne le marocain de son gouvernement.

    Un catalogue d’objectifs

    Cette constitution est marquée par la conjoncture :

    – Les problématiques du Sahara occidental se retrouvent dans l’affirmation de l’unicité du territoire marocain et la promotion de la langue Hassania. C’est à ma connaissance un première dans un état musulman de promouvoir de la sorte un dialecte arabe, donc une langue « pas arabe mais presque » éloignée de la sacralité coranique de l’arabe.

    – Les retombées de la gestion du PAM dans la réglementation électorale

    – Les objectifs économiques et sociaux sont présentés avec un détail que je trouve anormal pour une constitution. Ils mettent particulièrement l’accent sur la protection des femmes et des handicapés, et leur insertion, ce qui sont deux des grands axes de développement. L’éducation aussi est mentionnée, avec la formulation « l’enseignement fondamental est une obligation de la famille et de l’état » ce qui est un peu une artillerie lourde contre le père de famille qui ne veut pas scolariser ses filles …

    Un autre axe, le développement durable et écologique, est aussi mentionné de nombreuses fois, l’accès à l’eau et à un environnement sain est un droit fondamental, ce qui est dommage c’est qu’il se trouve mis au même niveau que la promotion du sport…

    Alors, bonne ou mauvaise, la constitution ?

    Si on s’attache uniquement au texte et qu’on oublie l’utopie de certains marocains d’un passage immédiat à une démocratie républicaine, et surtout si on le considère, comme il se proclame lui même dans son préambule, comme une étape, c’est, malgré ses maladresses et ses insuffisances, un bon texte, meilleur que le précédent, et plein de bonne volonté, qui trace en pointillé les faiblesses de la société marocaine et affirme la volonté de les corriger.

    En pratique (et comme la plupart des textes), cette constitution ne vaudra que par le caractère des gouvernants, et les garde-fous contre les dérapages et les abus de pouvoir peuvent facilement se transformer en dragons de papier.

    C’est ce que lui reprochent beaucoup d’opposants, je reviendrai là dessus dans le prochain article.

    Mais surtout, à mon avis, le principal point faible est dans l’absence quasi totale de discussion. Alors que le calendrier original parlait d’un vote en septembre, il aura finalement lieu le premier juillet. C’est tout simplement ridicule. Laisser à peine quinze jours pour discuter d’un texte fondamental, pour l’analyser, pour laisser aux différents partis le temps d’exposer leur opinion… ça n’a pas de sens. Et cette précipitation supprime toute crédibilité au référendum, et partant à la nouvelle constitution. C’est aussi fouler au pied les principes même énoncés dans le texte, et notamment la valorisation de l’opposition.

     

     

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