La Gazette du Chergui

Bien que ce blog soit totalement apolitique (parce que c’est malgré tout le blog d’une entreprise, et que ce n’est pas la place ici de discuter d’opinions personnelles…) il est impossible de ne pas parler des derniers événements au Maroc, en Algérie, et de la nouvelle vague terroriste qui semble se lever en Afrique du Nord.

Les événements au Maroc sont beaucoup moins meurtriers qu’en Algérie.
Tout a commencé cette fois-ci par une explosion dans un cybercafé de Casablanca, dans un quartier populaire, un truc tellement absurde qu’on peut se demander, au choix, si c’est une mise en scène, ou si Laurel et Hardy se sont fait embaucher chez Al Quaïda.

Pour résumer la version officielle, des gamins, ceintures d’explosif montées, seraient allés dans un cybercafé d’un quartier populaire, prendre par internet leurs instructions pour savoir où aller se faire sauter. Ils se font repérer par le patron du cyber, qui essaie de les en empêcher, suite à ça, ils se font sauter.
Et quelques temps après, la police repère une cache d’explosifs. Les futurs terroristes préfèrent là encore se faire sauter plutôt que de se rendre, et la police continue le jeu de piste dans Casablanca.
Les menaces auraient portés essentiellement sur le port de Casa, comme centre économique.

Ce qui est frappant, en même temps, c’est la violence des attentats qui recommencent en Algérie, alors que la trêve avait été signée.
Même si Al Quaïda cherche à étendre son influence sur l’Afrique du Nord, même si les menaces ont toujours existées au Maroc, depuis la bombe qui avait dévasté un hôtel à Marrakech en 1994, la situation n’a rien de comparable entre les deux pays, ni entre le Maroc et l’Egypte, ensanglantée à plusieurs reprises.

Dans les points positifs

• Le premier résultat des attentats de 1994 avait été de ressouder tout le pays comme un seul homme, pour refuser cela. L’illustration de ce post, c’est le détournement sous la forme d’une main de Fatima « porte chance » de la campagne « touche pas à mon pote ». Sous le moto « touche pas à mon pays ».
• Le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord à être dirigé par un chef religieux. Le Roi est en même temps Commandeur des Croyants. Il est chorfa, c’est-à-dire qu’il descend en droite ligne du Prophète. Cela lui confère une autorité morale sur le pays que n’ont aucun des autres dirigeants. Ceux qui étaient au Maroc au moment de la mort de Hassan II se souviennent avec surprise parfois du chagrin réel et profond des Marocains, face à la mort de leur roi, et malgré tout ce qu’ils pouvaient en penser.
• Le Maroc n’est pas un pays intégriste. Son histoire est plus mêlée, plus ouverte, que celle de l’Algérie, par exemple. Les « barbus » comme on dit y sont moins présents qu’ailleurs.
• Le Maroc n’est pas un pays révolutionnaire… bagarreur, certes, capable d’explosions de temps en temps, mais sinon plutôt débonnaire. On me dit souvent que la seule chose qui puisse pousser un Marocain à faire la révolution, c’est de ne pas avoir son tajine quotidien… c’est peut être exagéré, mais il y a dans ce pays une douceur de vivre palpable.
• Le Maroc aime bien son Roi. Le Maroc râle, et trouve que les choses n’avancent pas assez vite, mais globalement, il trouve qu’il a plutôt un bon souverain.
• Il a plu beaucoup. Le Maroc est vert, l’agriculture fleurit, l’année va être plutôt bonne. Vous en connaissez beaucoup, vous, des pays de paysans qui se révoltent quand les récoltes sont abondantes ?
• La lutte contre la pauvreté progresse, les programmes de destruction des bidonvilles avancent, l’alphabétisation progresse.
• Je n’ai jamais rencontré un Marocain qui approuve les attentats suicides, ou le terrorisme. L’opinion sur les événements de Palestine est bien sûr favorable aux Palestiniens, mais le terrorisme, c’est « autre chose ». (Maintenant je ne suis certainement pas le genre de personne susceptible de rencontrer des Salafistes ou autres extrémistes… moi impure et infidèle).
• La lutte contre la corruption a commencé, les têtes les pires sont écartées du pouvoir.

Dans les points négatifs :

• L’intégrisme a indiscutablement progressé.
• Beaucoup de Marocains trouvent que les réformes ne vont pas assez vite, qu’on pourrait faire plus, mieux, plus rapidement.
• Il y a de la sécheresse dans le nord, moins agricole que le sud, mais quand même, ça fait une partie de mécontents.
• Ce que je peux comprendre, de temps en temps, quand ils se mettent à parler français à la télé, de la presse arabe, me montre qu’il y a dans cette langue des journaux qui remuent une fange très boueuse. Sont ils vraiment suivis ? Sûrement, puisqu’ils se vendent…
• Il y a toujours beaucoup de bidonvilles, de pauvreté.
• Il y a une certaine crainte face aux accords de libre échange signés avec les Etats-Unis, et ce qu’ils vont apporter ou pas au Maroc.
• Comme dans tout pays musulman, la situation internationale (Irak et tutti quanti) créée un sentiment de solidarité face à un monde « non-musulman » ressenti comme excessivement interventionniste.
• Le Maroc manque de cadre administratifs de haut niveau. Et « faute de mieux », une vague chassant l’autre, la relégation de hauts fonctionnaires corrompus entraîne bien souvent le pardon de la charrette précédente.
• Il y a un très fort taux de chômage chez les jeunes, même un diplôme de troisième cycle ne permet pas de trouver du travail avec certitude, et la mauvaise qualité de l’enseignement public fait que de moins en moins de jeunes de familles « non-riches » ont une réelle chance de pouvoir évoluer. C’est à mon avis le point le plus négatif, têtes bien faites et inoccupées, jeunes qui ne peuvent se marier, accéder à la vie normale.
• Tout le monde pense que les mouvement islamistes vont gagner les élections.

Parce qu’il y a des élections législatives en Septembre.

Leur impact est totalement différent de ce que sont des élections en France. Le Parlement a un rôle consultatif, mais le Roi fait ce qu’il veut, comme il veut. Pas une ligne de la Constitution de Fer émise par Hassan II, qui fait de lui le chef suprême et unique des armées, du gouvernement et de la religion, n’a été changée. Mohammed VI a mis aujourd’hui un gant de velours matelassé, mais l’appareil reste à disposition…
Les partis ne sont pas libres. Le Roi négocie en ce moment le résultat des élections avec les partis, car c’est le gouvernement qui autorise ou pas un candidat à se présenter. Beaucoup plus efficace et direct comme méthode que les charcutages de circonscription électorale…
La censure est toujours en place, et mesure soigneusement ce qui est autorisé. Le gouvernement contrôle effectivement l’expression de l’opinion religieuse, tous les imams sans exception sont nommés (et révoqués) par le Ministère des Habbous (affaires religieuses) et reçoivent toutes les semaines un discours qu’ils ont l’obligation de lire dans leur prêche du vendredi. Avec quand même la liberté d’ajouter ce qu’ils veulent… tant que cela ne sort pas de la ligne officielle.

Il est difficile de démêler ce qui se passe réellement. Tout est possible, d’une arrivée d’Al Quaïda, à une manipulation du pouvoir qui laisse sortir les affaires, pour les réprimer, et surtout susciter dans le pays le même sursaut de rejet qu’à chaque vague d’attentats.
On y verra sans doute plus clair après les élections et le mois de Ramadan, qui commence juste après.

Tout ce que je sais, c’est que dans le Maroc où je vis, qui va grosso modo du nord de Marrakech à la frontière saharienne, je me sens bien. Je ne me suis jamais sentie agressée, rejetée, interpellée pour quelques raisons que ce soit. Je vois peu de barbus, dans la rue (et qu’on me comprenne bien, un « barbu » n’est pas en soi un personnage dangereux, beaucoup d’entre eux sont simplement des hommes pieux, c’est juste un résumé d’une ambiance). Je ressens une grande volonté et une grande espérance d’amélioration, d’une moralisation de la vie politique marocaine (et c’est un des grands défis du Roi), mais en même temps un refus généralisé de la violence.

La police est omniprésente. Le tourisme est l’atout le plus précieux du Maroc, et tous les Marocains qui en vivent savent bien que si cette manne s’arrête, le pays coule. Et l’étranger est encore un hôte à respecter, avec tout ce que cela implique… Je croise régulièrement des touristes juifs, qui reviennent dans le pays de leurs ancêtres, vont faire des pèlerinages sur les tombes des Sidi juifs. Dans le Maroc que je commence à bien connaître, il n’y a pas de place pour la violence et l’intolérance. Les risques existent, comme partout. J’ai failli mourir il y a 21 ans, dans la bombe qui a explosé chez Tati, le 17 septembre. Je suis partie du magasin 10 minutes avant qu’elle explose. J’ai vécu sans problèmes à Paris pendant toutes ces années. Le terrorisme est une plaie qui frappe toute la planète, mais le Maroc n’est pas plus exposé que la France, et si on fait le bilan sur les vingt dernières années, il en a beaucoup moins souffert.

PS : ce billet n’est pas un billet d’humeur pour empoignades féroces. Et il ne vise qu’à donner mon ressenti de la situation au Maroc. Je n’en suis pas une experte politique, mais j’y passe beaucoup de temps. Je suis ouverte à toute discussion constructive, le reste sera sabré.