Photo sous licence cc by Steven Depolo
Chaque année, je vous répète à quel point on peut voyager pendant Ramadan, et que les vacances au Maroc, pendant cette période, sont un peu différentes, et enrichissantes. Pour ne pas me répéter comme un perroquet, cette année, je vais plutôt vous raconter la vie quotidienne pendant Ramadan, celle que vous ne connaîtrez sans doute pas si vous venez simplement passer une semaine de vacances ou deux.Brusquement, depuis le 2 août, le rythme de vie s’est complètement transformé. La journée est marquée par les trois coups de canon, les deux du matin, qui préviennent une heure avant le début du jeûne, et au moment du jeûne (S’hour), et celui du soir, pour la fin du jeûne (F’tour). Comme notre Ramadan 2011 a lieu en plein été, les nuits sont courtes, et beaucoup de marocains ne font que deux repas, un long F’tour à la rupture du jeûne, et un solide S’hour. En hiver, le rythme est plutôt de trois repas, un vrai dîner vers minuit-une heure du matin et un S’hour léger.
Une nuit trop courte pour dormir
Ici, à Ouarzazate, le S’hour est autour de 4h15 le matin, et la rupture du jeûne vers 19h30. (En fin de mois, on aura gagné trois quart d’heures sur la durée totale du jeûne, pas négligeable). Il y a plusieurs façons de s’organiser pour la cuisine, soit tout à l’avance, soit « normalement » avant chaque repas (la nourriture pendant Ramadan sera un article à part), mais grosso modo, pour être prêt à faire un repas complet, puis la prière (qui prend, entre les ablutions et la prière elle même, au moins un quart d’heure), il faut être à table vers trois heures du matin, et donc, pour la cuisinière (le cuisinier plus rarement), aux fourneaux vers 2h, 2h30 au plus tard.
En allant à reculons, le F’tour de la veille a été suivi d’un longue prière à la mosquée, au moins une heure, plus selon l’iman (comme chez les chrétiens : il y a des prêtres qui expédient le sermon en dix minutes, et d’autres qui sont très bavard), ou d’un repos tranquille, pour ceux dont la pratique s’arrête à l’observation du jeûne. Bref, on revient en forme à la vie normale vers 22h00. Les boutiques sont ouvertes, les familles sortent profiter de l’air plus frais, encore une ou deux heures.
On va donc dormir très peu, et, surtout dans le sud où la chaleur est épuisante dans la journée, et où le rythme est naturellement nocturne, il existe beaucoup de marocains qui font une nuit quasiment blanche.
Des horaires de travail amménagés
Selon que vous êtes ouvrier, artisan, employé de bureau, l’aménagement sera différent. Nous habitons dans un quartier nouveau, en construction, et les ouvriers sont sur les échaffaudages dès que la lumière est suffisante pour travailler, vers cinq heures du matin. J’ai l’habitude de sortir à l’aube, et de m’asseoir sur la pas de la porte, pour profiter de la fraîcheur, du calme, et de la lente mise en route. Comme je ne jeûne pas, j’aimerais bien profiter de mon café et de mon jus d’orange, mais je vis ici, et cela pourrait être pris comme de la provocation… ou tout simplement rendre le jeûne plus difficile à ceux qui, à quelques mètres de mois,vont monter des murs, et transpirer sous un soleil de plomb (la température « officielle » de la météo était à 40° aujourd’hui, cela peut être 10 de plus, en plein cagnard).
Les bureaux, les administrations font la journée continue et raccourcie, de 9h du matin à 15h. Avant que notre assistante arrive, je fais une petite « sieste », alors que mon mari, lui est parti dormir, si il le peut. Si c’est le jour du souk, ou qu’il a quelque chose à faire, il part comme tout le monde, le plus tôt possible, et revient ensuite avant la fin de la matinée.
Avec l’avancée de l’heure et la montée de la température, le silence est de plus en plus universel, même les enfants ne jouent pas à l’extérieur, et les animaux se cachent aussi. En dehors des zones touristiques, ou véritablement actives, on se croirait presque dans une ville désertée. Sur la grande avenue Mohamed V, quelques cafés et restaurants sont ouverts, pour les touristes, mais tournent un peu à vide. D’autres sont fermés, en laissant leurs tables et leurs chaises en terrasses. Des marocains s’y assoient pour passer le temps, sans commander quoi que ce soit.
Seuls les magasins d’alimentation travaillent réellement. Il manque toujours quelque chose…
La préparation du Ftour
Avant-hier j’ai vu passé un twit vers 18h qui s’adressait aux marocaines « si vous êtes sur twitter à cette heure ci, soit vous avez des bonnes, soit vous êtes célibataire ». Bonne description de la réalité, vers 17h on commence à s’occuper de la préparation du F’tour, la harissa harira, les petits gâteaux, le café, le thé, et tout ce qui va surcharger la table. Les femmes sont en cuisine, les hommes allongés, soit au repos, soit en train de dormir, et dans la rue, la plupart des magasins ont fermé.
C’est le moment où vos amis, ou votre famille vous appellent pour vous proposer de partager la bénédiction de la rupture du jeûne. (Le F’tour n’est pas un moment anodin, c’est un des moments essentiels du rituel du Ramadan, et en ce sens, le partager est une bénédiction, et encore plus si vous le partagez avec des gens pauvres).
Une demi-heure avant le F’tour, le stress devient palpable. Les gens sont maintenant réveillés, ce n’est plus du tout le moment de demander à un taxi de vous emmener quelque part, on regarde (subrepticement ou pas) sa montre, on tourne la tête en direction de la mosquée, d’où viendra l’appel du muezzin, ou on vérifie une fois, deux fois, sur la feuille officielle des horaires, quelle est la minute exacte de rupture du jeûne.
La table est mise, les aliments sont préservés des mouches sous des tissus, souvent brodés, les cafetières, théières, soupières, sont apportées, fumantes. La famille se réunit autour.Le petit lait est versé dans les verres…
La minute arrive, on entend ou bien le muezzin ou bien le canon. Le chef de famille prend la première date en même temps que son lait, en invitant tout le monde à suivre son exemple, d’un « Bismillah ».
Une journée de jeûne vient de se terminer.
Travailler avec l’étranger
Pour ceux qui, comme nous, travaillent avec l’Europe, cela se complique un peu. Le Maroc a abandonné son heure d’été, nous avons donc deux heures de décalage, ce qui veut dire qu’officiellement, nos bureaux ne sont ouverts qu’à partir de 11 heures, heure de Paris, et nous (à l’exception de « je »), totalement indisponible de 17h à 18h30. Difficile ou impossible même à gérer.
De plus, malgré les horaires officiellement réduits, il est difficile de dire à nos clients « en ce moment on est à 60% de capacité de production [50% réelle, au maximum, avec la fatigue], donc on est en retard ». La compréhension serait limitée.Et puis quand un de nos client a une demande pour une excursion, un séjour… on ne va pas lui demander d’attendre après Ramadan.
Cela veut dire qu’en plus des horaires de Ramadan, la « pause tranquillité » de l’après midi, celle que tout salarié attend vers 15h, chez nous, se déplace à tard, et que nous faisons en réalité une journée de travail normale.
Les horaires d’un couple mixte
Mon mari fait le Ramadan, pas moi. Si je ne m’adaptais pas à ses horaires, notre vie de couple se réduirait à peau de chagrin, nos heures de sommeil et de disponibilité ne coïncidant pas vraiment. Chaque année, j’adapte mon rythme alimentaire, pour grignoter un tout petit peu dans la journée, et pouvoir partager avec lui ses repas (si je mangeais normalement dans la journée, mon apport calorique serait impressionnant). Je fais aussi en sorte que toute la charge de la cuisine ne retombe pas sur lui (pourtant il cuisine très bien), je m’occupe du site, des circuits… bref, je finis par dormir très peu ! C’est là qu’on se rend compte que vivre en couple deux religions différentes, ce n’est pas seulement une question de tolérance intellectuelle, mais d’adaptations à des contraintes mutuelles, qui peuvent être difficiles à négocier. A l’époque où nous nous sommes connus, Ramadan tombait au mois d’octobre… il nous reste donc vingt ans nous pour imaginer comment nous gérerons quand Noël et le Jour de l’An auront lieu en même temps que Ramadan (en 2031) !
3 Comments
excellent article, merci.
Bonjour,
Plein d’intéret comme d’hab…
Juste une faute de frappe , « harissa » !???? ne s’agit t’il pas de la super « harira ».
Si si… bien vu :)
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