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  • Entre tradition et modernité

    Cette phrase « entre tradition et modernité » est un motto que l’on entend tout le temps au Maroc, aux informations, dans les reportages, et au sujet de presque tout.

    Les riads modernes qui servent de maison d’hôte au black c’est « entre tradition et modernité », les centres d’artisanat, les jeunes qui investissent et passent à « Challenger » (une émission de la chaine de Télé 2M qui met en concurrence des jeunes voulant créer une entreprise, sur le même principe que la Star Ac, ils sont encadrés au long de la compétition par des profesionnels, et les gagnants reçoivent des financements), tout cela est « entre tradition et modernité », et l’on se dit parfois que « tradition » veut dire aussi retard, dans l’équipement, dans le fonctionnement des administrations… bref, on ne peut pas rester une semaine au Maroc sans entendre cette phrase.

    En rentrant d’Agadir sur Marrakech, elle a pris un sens nouveau.

    Une réforme du code de la route a été introduite il y a quelques semaines, qui modifie le mode de paiement des amendes.

    Avant, c’était simple. Le policier vous dressait un procès-verbal, le procès-verbal partait au tribunal de votre domicile, et vous le payiez, ou bien vous vous débrouilliez pour ne pas le payer. Ou bien encore vous deviez convaincre le policier avant qu’il vous dresse le PV, et en toute discrétion lui glisser un petit quelque choses.

    Ce type de corruption légère est endémique au Maroc.
    Sans juger, il suffit de connaître quelques chiffres.

    Un policier gagne 3.000 dirhams par mois, plus un logement gratuit, donc tout compris, environ 3.500-3.700 dirhams par mois. C’est moins de deux fois le smic marocain, qui est à 1.900 dirhams nets par mois.

    Là dessus le gendarme ou le policier doit nourrir sa famille, et économiser pour l’avenir, puisque sa retraite sera de l’ordre de 2.000 dirhams par mois, et là sans logement de fonction.

    C’est très peu.
    Un kilo de viande coûte environ 65 à 70 dirhams, le pain pour nourrir la famille pour un repas va coûter 10 dirhams. L’électricité est chère, l’essence est à 11 dirhams le litre, la sécurité sociale est minimum (les longues maladies sont prises en compte, pas les petits bobos quotidiens)…

    Le PV pour excès de vitesse est à 400 dirhams. Pour le contrevenant, qui ne gagne pas toujours beaucoup plus que le gendarme, c’est une somme énorme. Même pour un excès de 10 kilomètres heures, il faut payer 400 dirhams.

    Alors on discute, on essaye de gagner la sympathie du gendarme, parfois cela marche, parfois il faut rajouter 50 ou 100 dirhams, et tout le monde y gagne, tout le monde sauf l’état.

    Donc l’état décide de changer tout cela. Il ne faut plus laisser la possibilité d’arrêter le PV au tribunal, il faut obliger les gens à les payer.

    La nouvelle réglementation est simple : on paye tout de suite les 400 dirhams, contre un reçu, ou bien le permis est retiré. On reçoit en échange de son permis un papier autorisant à circuler pendant trois jours, et au bout de ces trois jours il faut aller rechercher son permis au tribunal de la ville où a été commise l’infraction.

    Pire encore que de payer les 400 dirhams, pour les Marocains qui se déplacent pour leur travail, les guides, les chauffeurs qui transportent les touristes, ou les marchandises d’Agadir à Tanger par exemple.

    Alors on préfère payer tout de suite, c’est bien ce que l’état avait en tête.

    Mais voilà, puisqu’on paye tout de suite, il est donc légal de donner de l’argent à un policier (ce qui n’était pas le cas avant). Bien malin celui qui de loin peut dire maintenant si l’argent reçu par le fonctionnaire est l’argent du PV, ou les 50 ou 100 dirhams qui arrangent tout le monde et iront engraisser un peu le tajine du soir.

    Entre tradition et modernité, la nouvelle réforme du code de la route, qui devait diminuer la corruption, a ouvert tout la grand la porte.

    C’était particulièrement évident sur la route d’Agadir à Marrakech. C’est une route difficile, pas en très bon état partout (bien que d’une qualité supérieure à la moyenne) avec beaucoup de montagne, des montées très fortes, des virages nombreux, et aussi beaucoup de camions, notamment ceux qui emmènent les production maraîchères et fruitières de la région du Souss partout au Maroc et à l’étranger.

    Pour la voiture de tourisme, coincée derrière le gros camion, un calvaire.
    Pour le camion frigorifié, coincé derrière la bétaillère poussive qui dépasse à peine le 30 km/heure dans les montées, un calvaire aussi et un risque monétaire, s’il n’arrive pas à livrer à temps.

    Alors tout le monde double, en faisant attention mais sans tenir compte des lignes blanches, et quand on le peut, tout le monde va vite, au delà des vitesses autorisées.

    D’habitude sur cette route, il y a 2 ou 3 contrôles de gendarmerie.
    Cette fois-ci, nous en avons compté 7.

    Parce qu’on peut payer l’amende tout de suite ?

    Et en arrivant à Marrakech, sur le bord de la route, de superbes radars automatiques. Eux ne peuvent pas recevoir d’argent, les données seront traitées de façon totalement informatisées… mais ils ne marchent pas encore.

    PS: entre tradition et modernité, je poste cet article de la terrasse d’un café de Marrakech qui offre, en plus des thé à la menthe et des jus de fruit, une connection WIFI libre et gratuite à ses clients !

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